Claire Chevrier

LEYLAND

« Je veux m’approcher d’une certaine universalité » dit Marguerite Duras dans cet extrait d’entretien avec Michelle Porte à propos de Le Camion :

 

« P 105 : M.D : … C’est vouloir écrire telle ou telle histoire. On écrit tout le temps, on a une sorte de logement en soi, d’ombre, où tout va, où l’intégralité du vécu s’amasse, s’entasse. Il représente la matière première de l’écrit, la mine de tout écrit. Cet « oubli », c’est l’écrit non écrit : c’est l’écrit même.

Dans le film le camion transporte cette masse-là. Tout l’écrit du monde. Comme si ça pouvait se mesurer, se peser : trente-deux tonnes d’écrit, cela me plaît. C’est ce que j’appelle : l’image. Mais cet écrit universel, dans Le Camion, il est mélangé, c’est celui du spectateur, c’est le mien, tout est fondu ensemble : masse noire et close qui avance et parcourt le monde, oubliée. Mais en vie. Pas morte. Prête à servir à tout. Aux plus grandes erreurs politiques de l’histoire des peuples. A un poème de Mallarmé. A une souffrance sans cause apparente qui traverse une femme, un soir, quelque part, et dont rien se sera dit nulle part. »

 

J’ai fait des prises de vues des territoires et des lieux de passages autour de Calais :

Ferry, Tunnel, gare TGV, plusieurs histoires apparaissent en filigrane des restes de bunkers de la dernière guerre, des fragments de la Jungle, … à partir de la cabine de camions.

Comme dans Le Camion, les maux réapparaissent dans le paysage, différentes histoires, strates dialoguent.

La fiction paraissait être une possibilité intéressante, en repensant à cette phrase de Jean Luc Godard :

« Il faudrait cesser de penser que le langage de l’opprimé est celui du documentaire et celui de l’oppresseur celui de la fiction. »

 

Le roman-photo a été réalisée à partir de larges extraits du livre Le Camion de Marguerite Duras, la forme en gratuit distribuable ou en affiche à coller aussi bien dedans que dehors, est pour reprendre des outils simples, populaires. Je voulais que ce travail retourne au plus près des gens dans leurs boîtes aux lettres, dans la rue, dans l’espace urbain.

 

Le titre LEYLAND vient de l’équivalent du SAVIEM, qui commence le livre de M. Duras, camions anglais de la même génération. La typo reprend celle des plaques d’immatriculation de ces derniers. Cela joue aussi avec Ley et land, la loi, le pays…

 

Claire Chevrier

2016